3 – Serge
Retour à l’introduction : Immersion
Serge
{Emery}
Je retrouve Serge Thibault à côté du même véhicule que celui de Slimane. Je lui demande si tous les salariés ont le même, « non, ça c’est le véhicule des Polyvalents, les AMI ont une voiture électrique. Nous devrions avoir bientôt une camionnette hybride ». Serge est aussi accompagné d’un collaborateur en formation, Losomba. Un jeune homme qui démarre sa vie professionnelle. Je suis content, ils n’ont pas encore ouvert les toilettes. « Pourquoi êtes-vous venus avenue de Flandres ? », « Sur l’application on a vu que la porte était bloquée ce matin, il fallait faire vite ».
Serge est un ancien professeur de karaté qui a commencé sa carrière chez JCDecaux il y a trente-sept ans. Il est à un peu moins de deux ans de la retraite. Et avec son air amusé et sa boucle d’oreille de rocker, il me glisse qu’il est toujours marié à la même femme qui lui a fait deux très jolies filles.
Son visage se fige quand nous arrivons devant la porte. « Regarde, ils ont tenté de la forcer ». Il active alors l’ouverture manuelle. A la force des bras, il finit par ouvrir. Ce que je vois se rapproche plus d’une porcherie que de toilettes utilisées par des humains. Des canettes de bière dans le lavabo, des déchets alimentaires au sol, des excréments humains ou d’un très gros chien et une chaussure. Je le regarde effaré, il rigole « et encore, là ça va ! ». Alors je demande ce que je n’aurais sans doute pas dû demander : « Je suis parfois tombé nez-à-nez avec du sang sur les murs ou des animaux éventrés. J’ai un collègue qui est tombé sur des choses plus sanglantes encore. Y’a eu un suicide aussi ». Dans ces cas-là, il appelle les services compétents. « Il vous arrive de tomber sur des choses plus jolies ? », « vous voulez dire des couples qui font l’amour ? », « oui, par exemple », « Rarement en ce moment, ils font plutôt ça la nuit, avec la Covid et son couvre-feu, c’est plus compliqué ». Et puis il enchaine « Parfois, il y a des gens qui nous remercient presque timidement. Ils descendent de chez eux ou s’arrêtent dans la rue pour nous dire un mot, ça fait toujours plaisir ».
Je quitte Serge et Losomba qui se concentrent sur le changement de la courroie d’ouverture de la porte « Ce n’est pas la première fois, dans quinze minutes ça remarchera ! ». Ils me sourient sous leurs masques.